En tant que journaliste, le coté historique des jeux est-il devenu un critère sur lequel tu fait attention, en particulier pour les jeux qui se revendiquent comme tel, à l’exemple de la série mondialement connue Assassin’s Creed ?
Pour le coup, tu es bien tombé, c’est un point qui m’intéresse pas mal. On est quelque uns à la rédaction, dont deux en particulier, à être très intéressé par l’Histoire. L’un d’entre nous à même une formation en Histoire (Epyon, qui possède une Licence d’Histoire). De même, on a Lespol qui connaît assez bien l’Histoire, et qui fait beaucoup de jeux de stratégie. Je suis un peu dans le même cas, je n’ai pas fait de formation sur le sujet, mais je m’intéresse beaucoup à l’Histoire.
A mon plus grand désarroi, ce sont souvent des jeux de stratégie qui reprenaient l’Histoire, et je ne suis pas un grand fan de ce genre de jeu. C’est pour cela d’ailleurs que j’ai beaucoup aimé Assasssin’s Creed, car j’aimais bien revoir les faits historiques après y avoir joué. Je me suis renseigné, et j’ai vu que de temps en temps, les développeurs avaient un peu «bidouillé» on va dire pour que ça colle avec leurs projets, mais dans l’ensemble, il y a une reproduction assez fidèle de l’Histoire.
Ce fait partie quand on traite des jeux historiques, je pense que c’est évident, on est obligé de vérifier un minimum. On essaye d’y prêter attention, c’est un point qui est quand même important pour des jeux de ce genre, qui se revendiquent comme de vrais jeux faisant honneur à l’Histoire.
Prenons l ‘exemple d’Assassins’s Creed. On peut reprocher à cette série d’avoir un décor et un contexte historique, mais une trame narrative mêlant fiction et Histoire, au risque d’induire le joueur en erreur. Du coup, quand on teste ces jeux, est-ce que l’on fait attention à préciser aux lecteurs ce qui est est vrai historiquement, et ce qui ne l’est pas ?
Ça nous arrive. On ne le met pas comme avertissement, surtout que les jeux s’en chargent, si ma mémoire est bonne. Après, c’est un peu la difficulté de ce genre de jeux, ils tirent profit des «zones d’ombres» de l’Histoire pour à chaque fois se dire «Tiens, on sait pas trop ce qui s’est passé à ce moment, alors on va partir sur quelque chose de fictif». Moi j’aime bien cette démarche, je la trouve intéressante, mais c’est vrai qu’elle peut être perturbante pour certaines personnes.
Après, je pense que la plupart des joueurs ont quand même conscience que la fiction est mêlée à l’Histoire dans ces jeux. Les développeurs essayent de mettre cela en avant, et les joueurs en ont conscience. Après, il n’est pas impossible que n’ayant pas forcément une culture historique poussée, certains joueurs se mettent à penser que cela s’est vraiment passé comme cela. Mais cela les poussent à se renseigner après coup et à découvrir si c’est vrai ou pas, je pense que c’est un bon point et un bon moyen de les initier à l’Histoire.
Je sais que cela m’est déjà arrivé de préciser dans un test à ce sujet qu’il y avait une partie fictive, mais je le dis comme si c’était une évidence. Je pars du principe que les joueurs l’ont remarqué. Mais je le signalerais peut-être lors de mon test sur Assassin’s Creed Unity (rires) !!
Quand on regarde les forums de ces jeux, ce sont souvent les plus jeunes (10-14 ans) qui prennent ce qui est dit dans le jeu comme une vérité historique, penses-tu que l’âge est un facteur important ?
Oui, je pense que l’âge joue, car quand on a cet âge là, on est rapidement influençable. Ca veut pas dire que je ne parle pas de coté dangereux de la chose, loin de là, on voit quelque chose, on se dit «ah tiens, j’ai vu ça, je pense que c’est vrai», on à pas encore le sens critique suffisant, c’est la période ou il se forge d’ailleurs, c’est à partir de cet âge que les jeunes commencent à se forger leur sens critique, et comprendre qu’effectivement, il y a une part de fiction. Après, effectivement, ce n’est pas impossible que certains jeunes ne fassent pas la distinction entre réel et Histoire.
Une question sur un autre jeu : Soldats Inconnus, mémoire de la Grande Guerre. Ubisoft Montpellier a travaillé en collaboration avec les historiens qui ont monté le documentaire Apocalypse, la Première Guerre mondiale. Est-ce que cette démarche, de la part d’un développeur de jeux vidéos, est quelque chose à encourager afin d’intéresser les joueurs à l’Histoire ?
Alors je ne l’ai pas essayé, je le voulais, mais je n’ai pas encore eu l’occasion, mais j’ai vu le testeur à coté de moi le faire et j’ai vu le jeu un petit peu. Après, j’ai trouvé la démarche intéressante. En plus ce que j’aimais bien, c’était toute la partie faits historiques qu’on débloquait si je ne m’abuse.
Par contre, ce qui est délicat, c’est que là, ça se prêtait bien à ce type de jeu. La Première Guerre Mondiale est très différente de la Seconde Guerre Mondiale, et n’avait pas ce coté dynamique à mettre en scène dans un jeu vidéo. La Première Guerre Mondiale est plus compliquée pour cela, car la plupart du temps, le soldats étaient dans des tranchées, et c’est difficile à retranscrire. On ne pourrait pas faire un Call of Duty sur cette guerre par exemple, c’est impossible.
Un autre jeu jeu avait lieu pendant la Première Guerre Mondiale, je pense à Red Baron II. Le jeu était accompagné d’un manuel historique très complet sur le conflit aérien pendant la guerre. En ce moment, le jeu vidéo devient énormément dématérialisé, mais ne faudrait-il pas faire un équivalent de ce genre de manuel intégré au jeu pour intéresser les joueurs à l’Histoire ?
L’exemple du jeu Soldats Inconnus est très bon, parce que la première réaction quand je l’ai vu, c’est de me dire que le jeu faisait bien la frontière entre les deux domaines que sont l’Histoire et le jeux vidéos, et c’est un bon moyen pour les personnes qui ne connaissent pas cette période d’avoir un jeu qui est quand même ludique, avec des passages «funky» comme avec les tanks, et une porte d’ouverture sur l’Histoire, permettant aux joueurs qui le souhaitent de s’y intéresser, notamment via les fiches qui sont dans le jeu.
C’est un peu la même chose dans Assassin’s Creed, où là c’est écrit sur un ton un petit peu plus décalé, parce qu’il y a un contexte dans l’Histoire qui le justifie, mais c’est vrai que j’aime beaucoup cette idée de faire une passerelle entre ces deux domaines, c’est quelque chose à creuser.
Après, Ubisoft peut se permettre de le faire, car ils ont leurs grosses licences qui les poussent, et ils peuvent se permettre d’aider des projets fait par de plus petites équipes, tapant dans l’indépendant sans l’être. Du coup pour moi, on peut porter ce genre de jeux mais il faut que ce soit les gros studios qui le fassent, car c’est difficile pour des studios plus petits.
Parlons de l’Histoire de France. Il y a très peu de studios français qui font des jeux partant d’une base historique française, alors que des studios américains, suédois, voir japonais n’hésitent pas à se baser dessus. Est-ce que cette situation n’est pas regrettable ?
C’est vrai que cela fait partie des points ou effectivement les studios français ne s’attardent pas forcément, Après, la difficulté que l’on a en France, c’est que l’on a des studios dans le jeu vidéo, on en a qui sont actifs, mais des très gros qui auraient la capacité d’avoir des équipes qui peuvent travailler sur l’Histoire, ce qui nécessite énormément de documentation et de moyens, il y en a beaucoup moins.
Ou alors, ces studios sont partis dans des genres de jeux qui ne se prêtent pas du tout à cela. Ils vont avoir leur domaines de prédilection, je pense au studio lyonnais Arkane (Dishonored)qui est français mais qui n’est pas du tout dans cette direction.
Je pense que le manque de jeux historiques par les studios français vient de ces deux facteurs, soit ils sont dans des genres dont ils ne veulent pas déborder, soit ils n’ont pas une force de frappe suffisante pour se permettre de faire ce type de jeux.
On a tout de même l’impression que ceux qui parle le plus de l’Histoire de France, ce sont les studios étrangers, et en général, ce n’est pas très bien traité, je pense à Jeanne d’Arc, The Saboteur, …
C’est la difficulté de mixer l’Histoire et le jeu vidéo. Il y a la contrainte d’un scénario que tu dois écrire, qui doit être bien rythmé pour un jeu vidéo. On voit bien qu’effectivement, quand tu fait un jeu par exemple sur Jeanne d’Arc, il y a peut être une période de sa vie où ce qui se passe n’est pas super intéressant, et du coup, dans un jeu, cela va se sentir. C’est ça la difficulté, et du coup, tu es obligé de sauter des passages et ça peut casser le rythme du jeu.
C’est exactement ce qui se passe parfois dans Assassin’s Creed, les développeurs voient qu’un passage ne va pas être intéressant, du coup tu te retrouves six ans plus tard, sans trop comprendre pourquoi.
C’est là que réside la plus grosse difficulté à mélanger Histoire et jeux vidéos, et la «solution de facilité», c’est plutôt de se dire qu’on part dans un univers historique moins fidèle, avec un personnage auquel on va pouvoir donner le caractère et la vie que l’on souhaite, sans être contraint par le cadre historique, au risque de te mettre à dos une partie de la communauté qui est venu parce que le jeu se déroule pendant une période historique qu’ils aiment.
Il y a assez peu de grandes figures historiques, comme Napoléon, que l’on retrouve dans les jeux vidéos. En tant que journaliste amateur d’histoire, est-ce qu’il n’y a pas certains grands personnages historiques que l’on aimerait voir dans un jeu vidéo ?
Je pense à un personnage français en particulier, qui est apparu dans Assassin’s Creed III : il s’agit de Lafayette. Il m’a toujours intéressé, j’aime beaucoup le personnage, qui a eu une vie plutôt remplie. Il apparaît dans le troisième volet, je me demande si on ne le verra pas dans le prochain, c’est assez probable au vu du contexte historique. Après en personnage historique plus global, c’est difficile à dire.
Dans le cadre des interviews des développeurs de jeux se revendiquant comme étant historique, ces derniers expliquent-ils leur façon de faire des recherches historiques ?
C’est arrivé que l’on en discute. Je sais que pour Ubisoft, ils ont une équipe dédiée aux recherches, et ils font également appel à des externes comme des historiens. Ils essaient souvent de se renseigner sur ces externes, savoir s’ils connaissent les jeux, pour que ces personnes soient capable de retranscrire le personnage et son caractère de façon à voir s’il serait intéressant de l’intégrer au jeu.
Une partie de leur équipe, à force de travailler sur la série, doit faire le travail de recherche en interne. Par exemple, pour l’épisode Assassin’s Creed Revelations, ils se sont déplacés à Constantinople, dans la basilique Sainte Sophie, afin de prendre des notes pour la reproduire à l’identique dans le jeu.
Je pense que pour Assassin’s Creed Unity, ils ont fait la même chose, puisque Notre Dame de Paris est censée être reproduite à l’échelle exacte, et la ville de Paris à l’échelle 1/3, ils ont beaucoup communiqué dessus. Sur le point de la fidélité historique aux lieux, on voit qu’il essayent de faire le plus fidèle possible.
Quand on regarde les jeux dits historiques, on a l’impression que l’époque détermine le type de jeu, comme les FPS pour la Seconde Guerre Mondiale, les jeux de stratégie pour l’histoire médiévale, … Peut-on regretter cette situation, tout comme le fait que des pans de l’Histoire ne soit pas utilisé car non adaptable ?
Effectivement, cela fait partie des points qui sont compliqués. On sait bien que dans le jeu vidéo aujourd’hui, dès que l’on veut faire un jeu, il faut de plus en plus de budget. Et justement, pour les titres basé sur l’Histoire, il y a un budget en amont pour la recherche qui pour être important. Du coup, les petits studios ne peuvent se le permettre, et vont plutôt chercher une idée de gameplay originale pour se démarquer, que d’essayer de reproduire fidèlement un contexte historique, car cela implique d’avoir des connaissances très pointues, ce qui nécessite du temps et de l’argent.
Le jeu vidéo devient de plus en plus compliqué à faire, parce qu’il faut absolument être rentable, ce que même les gros titres n’arrivent pas forcément à être. Par exemple, le dernier Tomb Raider a mis très longtemps à le devenir alors qu’il s’est très bien vendu, parce que l’on atteint des sommes de développement et de coût de fabrication très élevées. Du coup, à moins de travailler sur des idées simples et de se limiter au maximum à tout ce qui est recherche et appels externes qui nécessitent beaucoup de connaissance, c’est vraiment difficile de sortir un jeu aujourd’hui.
Du coup, je pense que ce genre de jeux pâtit de ce syndrome là puisqu’ils nécessitent énormément de travail derrière, et du coup, il n’y a peut-être pas la capacité de les rentabiliser, d’où l’intérêt de gros studios qui utilisent leurs «vaches à lait» (leurs gros titres), pour financer des projets plus obscur, qui ne vont pas forcément leur rapporter grand chose, mais qui vont avoir une patte «indé» et qui vont leur permettre de faire des choses différentes.
Pour plaire, le jeu vidéo se doit d’être de très bonnes qualités tant sur le plan du gameplay que de la réalisation, de la trame narrative, … Est-ce que les jeux vidéos historiques ne négligent pas cet aspect là, et du coup, attirent moins les joueurs ?
Cela revient à ce que je disais précédemment, les petits studios qui marchent sont ceux qui trouvent une bonne idée de gameplay en premier lieu, ce qui va plaire aux joueurs. Au contraire, si développeur axe tout sur les recherches sans trouver en parallèle un gameplay sympa ou solide, il va en pâtir et on aura que cette image du jeu qui aura une bonne base historique mais sans rien derrière.
C’est un choix à faire, et c’est pour ça qu’il faut soit un gros studio derrière pour financer, soit une équipe qui est rodée sur le sujet, soit prendre un genre précis, comme le jeu de stratégie par exemple, qui à l’habitude d’être utilisé pour faire ce type de jeu.
Parlons un peu des erreurs historiques. Quand vous en voyez une dans un jeu se revendiquant comme tel, cela vous gache-t-il votre plaisir de jeu ?
Pour le coup, c’est très subjectif. Je pense qu’il y aura deux catégories : la personne qui tient absolument à ce que le jeu respecte les règles et le cadre historique, et la personne qui va être un peu plus ouverte, se disant que si c’est bien fait, cela peut être pardonné.
Par exemple, moi je préfère quand le jeu profite des «zones d’ombres» de l’Histoire, quand on se dit : «tiens, la théorie la plus probable, c’est celle-là» sans en être sur. Cela ne me gène pas que les développeurs devient un peu pour que le jeu reste rythmé et intéressant. Par contre, s’ils font quelque chose de complètement surréaliste par rapport à la partie historique, comme le jeu The Saboteur dont on parlait tout à l’heure, où on voyait tous les monuments de Paris au même endroit, la ça me pose problème !!
Du coup, quand on voit un jeu comme cela, basé sur une période historique, mais rempli d’erreurs, on ne se dit pas que l’apport historique est juste un argument marketing ?
C’est possible, il y a des jeux qui doivent tirer sur la corde. Quand il y a une très grosse erreur, ça peut arriver, même si c’est gênant. Quand il y en a deux, trois ou plus, en général, c’est que derrière l’argument historique, il y a une volonté de tirer profit d’une période ou d’une figure historique en l’érigeant en tête de proue pour faire vendre, parce que c’est une période historique appréciée ou un personnage historique très connu. C’est dommage.
Après, c’est le genre de chose que l’on a pénalisé dans nos tests. Je me rappelle que pour The Saboteur,sur la partie historique, il y avait énormément d’incohérence dans la manière dont c’était fait, et ce n’était pas toujours justifié en plus. Le jeu avait d’ailleurs été pénalisé pour cela.
Dernière question : le jeu Assassin’s Creed Unity d’Ubisoft va sortir prochainement (le 13 Novembre). Quand on voit le succès de cette saga basé sur différentes périodes historiques en terme de ventes, peut-on espérer que cela inspire les autres gros studios de développer eux aussi des jeux basé sur l’Histoire ?
La difficulté c’est que justement Ubisoft a eu la bonne idée de faire ce genre de jeu, avec la notion de voyage temporel, puisque le héros peut aller dans le présent et dans le passé, ce qui leur ouvre suffisamment le champ des possibilités dans l’utilisation de l’Histoire à différentes périodes.
Du coup, il se sont «appropriés»le terrain, en se donnant la capacité d’exploiter n’importe quelle période historique pour leurs jeux Assassin’s Creed.
Du coup, je me demande si quelque part, si un autre gros studio essayait de s’attaquer à cela, ce ne serait pas trop frontal, et que les joueurs ne se diraient pas : «ils viennent taper Assassin’s Creed, ils vont faire moins bien». Surtout qu’Ubisoft est maintenant rodé, ils connaissent l’exercice.
Je ne suis pas certain que les autres éditeurs prennent le risque d’aller taper là dedans, parce que pour moi, Ubisoft monopolise le terrain actuellement avec leur série, et doublement cette année puisqu’ils ont deux jeux de prévu. Ils tirent tellement sur cette licence, la mettant tellement en avant, qu’il est très difficile pour un autre studio de tenter ça.